Cette semaine, je voulais vous parler du perfectionnisme et de comment il peut nous impacter dans notre façon de travailler. Et quoi de mieux pour en discuter que d’appeler une coach spécialisée dans ce domaine.
J’ai invité Gaëlle Massé à me rejoindre pour une interview sur le sujet. On y parle de ce qu’est le perfectionnisme, de comment ce trait peut impacter notre performance et notre quotidien, mais aussi de clés, pour s’en extraire.
Bienvenue Gaëlle, peux-tu te présenter ?
Je suis Gaëlle Massé, coach certifiée, après avoir été manager pendant 15 ans. Depuis mai 2021, j’accompagne les perfectionnistes, pour qu’ils puissent développer des compétences du lâcher prise. L’idée est de les aider à comprendre pourquoi ils font les choses, pourquoi ils sont perfectionnistes, pour poser des limites et revoir un peu leur niveau d’exigence, pour leur permettre d’atteindre leurs objectifs, de façon plus sereine.
J’ai créé un podcast l’année dernière (2021). Il s’appelle Génération Perfectionnistes et c’est aussi le nom de mon site web generationperfectionnistes.com.
À travers ce podcast, j’ai eu envie de partager des clés autour du perfectionnisme et notamment d’expliquer ce qui se passe dans notre cerveau lorsque le perfectionnisme est présent.
Je veux aider les personnes à déjouer les tours que leur joue leur cerveau et qui se répercutent sur leurs comportements.
L’idée, c’est aussi de partager mon expérience en tant que perfectionniste en rémission (je l’avoue!). Sur mon chemin, j’ai trouvé beaucoup d’outils pour me permettre d’avancer de façon plus légère dans la vie. Mon intention c’est donc de partager ces outils.
Sur ce blog, je parle de méthodes de travail, de gestion du temps et de motivation et ça fait un petit moment que je voulais parler du perfectionnisme, donc merci d’avoir accepté cette invitation.
Avant de parler de ces outils de façon plus concrète, est-ce que tu peux nous expliquer ce qu’on entend par perfectionnisme ? D’où ça vient ?
Le perfectionnisme est une recherche excessive de perfection. Il y a vraiment des deux mots importants dans cette définition-là, c’est l’excès et la perfection.
En fait le perfectionnisme, pour moi, c’est une réponse à cette idée qu’on n’en fait pas assez.
Quand on est perfectionniste, on va être drivé par des peurs. La peur principale étant de ne pas être validé, de ne pas être accepté par les autres. C’est ce qui va nous pousser à faire les choses de façon excessive, pour être au top, dans ce qu’on crée.
Et une autre notion qui est importante, c’est que les perfectionnistes sont attachés à cette idée que leur valeur dépend de ce qu’ils produisent, de leurs actions.
Je pense qu’on est tous un petit peu perfectionniste, à plus ou moins grande échelle et ça peut aussi se retrouver dans différents domaines : dans notre rapport au travail, dans notre rôle de parent, dans notre vie sociale aussi, dans notre façon d’être avec les autres, dans notre rapport au corps.
Quand on est étudiant aussi, on croise beaucoup d’étudiants perfectionnistes.
Après, on n’est pas forcément perfectionniste dans tout. On peut l’être à un moment de sa vie plus qu’un autre, ou dans un domaine plus que dans un autre.
Pour moi, ça vient de deux choses.
Je pense qu’il peut y avoir cette pression sociale, aujourd’hui, qui est quand même assez forte, cette course aux aux injonctions, au fait de toujours bien faire, de toujours faire plus. Cette course est alimentée aujourd’hui par tout ce que nous renvoient les réseaux sociaux, on se compare beaucoup, tout semble parfait chez les autres… Donc on nourrit cette idée qu’on n’en fait pas assez.
Et puis la deuxième source, ça peut être l’éducation. Si on a grandi dans un contexte où les parents mettaient beaucoup de pression sur le résultat plutôt que sur l’effort, on va toujours être dans cette quête du 20 sur 20.
Quand on est un peu coincé dans ce dans cette tendance-là, en quoi ça peut être un obstacle à la performance ?
Cet état d’esprit, que j’appelle “l’état d’esprit du pas assez”, va se traduire par plusieurs comportements, qui vont nous emmener assez loin.
Pour moi, il y a 5 obstacles :
- Le premier premier obstacle, c’est qu’on a un niveau d’exigence tellement élevé, qu’on va souvent en faire trop. On va être beaucoup dans l’action (pas toujours de l’action efficace d’ailleurs°. On va passer beaucoup de temps à faire les choses, on va sur-produire. Et ça c’est épuisant.
- Le deuxième obstacle, c’est la rigidité de l’état d’esprit perfectionniste. Cet état d’esprit va nourrir un besoin de contrôler les choses (on parle même d’hyper contrôle). On va tomber dans l’amour du détail, on va avoir du mal à déléguer, du mal à apprécier le chemin. Et le revers de ça c’est qu’on va souvent se sentir débordé par tout ce qu’on a à faire et ça va nourrir pas mal d’anxiété.
- Le troisième obstacle, c’est l’auto-critique qui est très présente quand on est dans cette course du toujours plus. On estime qu’on n’en fait pas assez, le niveau d’exigence est super élevé, donc on est tout le temps en train de ruminer, chercher des solutions pour toujours faire mieux. On devient notre pire juge lorsque l’on estime qu’on n’en fait pas assez.
- Le quatrième obstacle va se situer dans le rapport aux autres. Je dis souvent que les perfectionnistes sont des contorsionnistes dans leur façon d’être avec les autres. C’est à dire qu’ils ont tellement peur d’être jugés, qu’ils vont vouloir compenser, modifier leur façon d’être et souvent faire du people pleasing. Le people pleasing, c’est l’idée de ne pas décevoir, par peur du jugement de l’autre. On ne va pas savoir dire non à l’autre, on n’ose pas. On va vouloir faire plaisir à l’autre. Par exemple, dans une situation au travail, où notre manager nous demande de faire une action, qu’on estime n’avoir pas trop le temps de le faire. Comme on veut être bien vu, ne pas être jugé, etc. on ne va pas oser s’exprimer ou poser des conditions. On va dire “oui” et se mettre la pression. Le people pleasing peut aussi se retrouver dans la vie sociale. Ça peut être ne pas oser dire non à une invitation de notre copine samedi soir, alors qu’on est fatigué et qu’on aimerait se reposer.
- Le dernier obstacle, qu’amène le perfectionnisme, est la procrastination.
On a beaucoup de relation à l’autre dans le perfectionnisme, j’ai l’impression ?
Oui tout à fait, on est drivé par des peurs quand on est perfectionniste, on a peur d’être d’être regardé par l’autre, peur d’être jugé.
En fait on a peur de ne pas être accepté par le groupe. Et comme on veut être accepté, on va mettre en place plein de stratégies. Le perfectionnisme est comme une stratégie.
Peut-on considérer ça comme un mécanisme de défense ?
Oui, et ça, on le comprend quand on creuse le sujet et qu’on a déjà avancé dans ce parcours.
Le cinquième obstacle dont tu parles est la procrastination et on parle de temps en temps sur ce blog, peux-tu nous en dire plus ?
Lorsque l’on procrastine, on va ralentir le lancement des choses qu’on doit démarrer. On va passer un temps fou à conceptualiser le truc. On va vouloir attendre que ce soit parfait, avant de lancer le projet.
Ça va même au-delà de la procrastination puisqu’il y a aussi des gens qui restent dans l’immobilisme.
On peut être dans une productivité intense, à s’occuper sans arrêt, et à la fois, on peut avoir tellement peur de se mettre à nu quand on passe sur un nouveau projet, qu’on ne va pas faire les choses.
Si je peux résumer, le perfectionnisme nous coûte :
- de l’énergie, parce que c’est épuisant de s’imposer ça tout le temps,
- du temps car on passe beaucoup de temps, à être dans cette quête.
Et il nous enlève aussi de l’authenticité.
Si je comprends bien, un perfectionniste cherche à plaire à l’autre, donc va se mettre à faire des choses en fonction des autres, plutôt que par rapport à ce qu’elle ou il pense ou qui elle ou il est.
Exactement.
Est-il possible de tourner le perfectionnisme à notre avantage ? Est-ce que ça peut devenir un moteur d’une certaine façon, et si oui comment ?
Déjà, l’idée n’est pas de se coller l’étiquette du perfectionniste en se disant “j’ai un problème, c’est mon gros défaut etc.”
Il y a les raisons pour lesquelles on fait tout ça, que l’ai expliquées plus haut, et surtout, il n’y a évidemment aucun mal à vouloir très bien faire les choses. C’est très positif de vouloir être bon dans ce que l’on fait, et ça je pense que ça peut vraiment être un moteur.
Mais je ne suis pas certaine que le perfectionnisme en soi soit un moteur.
Je dirais plutôt que ce qu’il faut, c’est s’arrêter sur cette envie de bien faire les choses, d’être dans un haut niveau de performance, mais de façon mesurée, avec une énergie positive.
C’est ça la différence entre perfectionnisme ou pas : c’est quand on est dans une énergie positive pour faire les choses, qu’on ne les subit pas.
J’aime bien utiliser le terme d’optimalisme (c’est Tal Ben-Shahar, un auteur américain, qui a écrit plusieurs livres sur le sujet et qui parle d’optimalisme comme un moteur à aller chercher). L’optimalisme va nous permettre de positionner le curseur à un niveau beaucoup plus acceptable, dans cette course au bien faire.
C’est ce qu’on appelle le “good enough” en anglais (qu’on peut traduire comme “suffisant”) ?
Oui, moi je l’appelle aussi la méthode 15/20, on ne va pas aller chercher sans cesse le 20/20 avec les félicitations du jury, on va chercher un très bon travail, un résultat où on va apprécier le chemin, où on va avoir un rapport sain aux choses.
On ne va pas passer 6h à bosser sur une présentation qui aurait dû nous prendre 1h30. Elle est là la différence.
Par quoi doit-on passer ? Par un lâcher prise du détail ou du trop bien ? Comment est-ce qu’on arrive à jauger ça, pour soi ?
C’est tout à fait ça. On passe par un lâcher prise du détail.
Ce que je trouve intéressant, c’est de regarder le temps qu’on passe à faire les choses et se dire par exemple : pour un article à écrire, je choisis d’y passer 1h. Je décide qu’au bout d’une heure, c’est terminé, et je m’autorise à le relire peut-être deux fois mais pas dix.
C’est vraiment s’imposer cette façon qui peut sembler imparfaite de faire les choses – dans notre cerveau perfectionniste – parce que évidemment notre cerveau va être en résistance terrible, quand on va vouloir se poser ces limites-là.
Il y a aussi cette capacité à gérer cette résistance, à se dire “OK, je résiste. C’est normal, mais c’est OK, je suis dans le processus de vouloir changer les choses”.
Je vais donner un autre exemple : le perfectionnisme peut être aussi dans notre maison, dans notre façon de faire le ménage tous les jours. Quand on ne supporte pas le bazar, le lâcher prise peut être là aussi. On va se dire “c’est pas grave si le panier de linge déborde”, “c’est pas grave si je n’aspire pas le sol de la cuisine tous les jours, j’accepte ça”.
Selon les personnes, on va travailler sur différents points et on va revoir un peu où positionner ce curseur.
D’où l’intérêt du coaching pour aller gérer toute cette partie du lâcher prise, de la gestion des émotions ? J’imagine qu’il y a beaucoup d’émotions négatives qui doivent arriver, quand un.e perfectionniste doit se dire : “Ah non finalement, je ne fais que deux relectures. Je laisse les miettes sur la table, c’est pas grave, je nettoierai plus tard”…
Oui, en effet, le coaching aide beaucoup en ça. En fait, pour moi, il y a la prise de conscience, qu’il est assez facile d’avoir en lisant des livres sur le sujet ou même en écoutant mon podcast. Mais la mise en action, elle, n’est pas simple à faire tout seul.
En fonction de où se trouvent les personnes que j’accompagne, je leur tiens la main, pour les aider et normaliser les choses. Il y a un gros travail d’acceptation de nos imperfections.
Quand on travaille sur le perfectionnisme, il y a une sorte de deuil à faire sur le fait que tout ce qu’on fait ne sera pas parfait. C’est vraiment un gros travail sur l’estime de soi, réapprendre à s’estimer, à s’aimer tel qu’on est, en tant qu’humain imparfait.
Puisque, de toute façon, la perfection en tant qu’être humain, n’existe pas.
Oui, la perfection est quelque chose de très subjectif, finalement. Quelque chose qui sera parfait pour quelqu’un ne le sera pas forcément pour quelqu’un d’autre.
Complètement. La perfection c’est une illusion, une construction mentale que créé notre cerveau, par rapport à ce qu’on a vécu, à notre éducation, au milieu dans lequel on évolue.
La notion de perfection ne va pas du tout être la même d’une personne à l’autre. Je dis souvent que c’est une course vaine, de courir après le perfectionnisme, puisqu’on ne court même pas tous après la même chose.
La société nous renvoie certaines images, qui sont une illusion derrière l’écran, derrière les photos retouchées… et on reste tous des humains faillibles, vulnérables.
C’est vraiment vers ça que j’essaie de reconnecter les personnes.
Au-delà de cette prise de conscience, j’aime bien donner des outils très concrets à mes lecteurs. Est-ce que tu as quelques conseils à donner comme ça, à quelqu’un qui aurait envie de commencer à sortir du perfectionnisme.
La première chose est une question que j’aime bien poser quand les personnes prennent conscience qu’elles sont dans une dans un comportement perfectionniste. Qu’elles passent beaucoup de temps à faire les choses, ou au contraire qu’elles procrastinent.
Cette question c’est “pourquoi je fais ça ?”.
Souvent les perfectionnistes sont drivés par cette pensée qu’on DOIT faire les choses, il FAUT faire les choses. On va aller questionner cette injonction et essayer d’y répondre, même à l’écrit : “pourquoi je fais ça en fait ?”
Ça permet d’aller chercher nos motifs :
- est-ce qu’on a peur d’échouer ?
- est-ce qu’on fait ça pour répondre à ce que nos parents souhaitaient de nous ?…
La deuxième clé, ça va être de travailler sur la qualité de la relation à soi.
C’est intéressant de prendre conscience de ce qu’on se raconte comme histoire, quand on est dans ces phases de perfectionnisme aigu. Se demander ce qu’on se raconte. Est-ce qu’on se dit : “Tu n’y arriveras jamais”. “Regarde, il faut en faire encore en plus”, “Tu es vraiment nul”.
On peut avoir des mots encore plus durs que ça envers soi. Et c’est aussi se poser la question: est-ce que tu parlerais comme ça à ta meilleure amie, à ta sœur, à ta collègue, qui se trouverai dans cette situation un petit peu difficile ?
On veut comprendre ce qu’on se raconte comme histoire, pour essayer de se parler plus gentiment et de nourrir, petit à petit, plus de compassion, et d’accepter toutes les parts de soi.
La troisième clé, face à des objectifs, c’est d’agir.
De passer à l’action parce que, quand on est perfectionniste, on passe tellement de temps à conceptualiser les choses dans notre tête, qu’on va passer des heures à ça, alors qu’il faut juste les faire.
Se dire : “Voilà, je décide, j’y vais”. Découper les tâches les unes après les autres, en fonction des priorités, s’il y a beaucoup de choses à faire autour d’une action.
Agir, même si c’est de façon imparfaite. Accepter de faire les erreurs, de se tromper, mais au moins avancer, parce qu’il y a rien de pire que de faire du surplace, parce qu’on a la trouille de ce que les autres vont penser
Donc c’est aller chercher cette mise en action, cette mise en mouvement et la progression ?
Exactement, c’est vraiment ça, c’est un travail sur la progression.
Merci beaucoup Gaëlle pour cet échange, très riche, sur le perfectionnisme. C’est un état d’esprit qui peut se manifester dans tous les aspects de la vie, et aussi – et on en a parlé – dans nos façons de travailler. Comme vous l’avez lu, être perfectionniste peut vraiment nous empêcher d’avancer de façon optimale. Heureusement, vous avez maintenant quelques clés pour prendre du recul. Et si vous voulez creuser plus loin sur ce sujet du perfectionnisme, n’hésitez pas à écouter le podcast de Gaëlle ou de vous rendre sur son site generationperfectionnsites.com.
Merci Gaëlle !